Jérôme Bédouet, un expert du saut d’obstacles à Marrakech
SPORTS ÉQUESTRES 2016-12-05Ancien cavalier de l’équipe de France de concours complet, Jérôme Bédouet a posé ses écuries, au ranch de Marrakech. Rencontre avec un passionné qui compare l’équitation à l’école de la vie avec ses règles et ses valeurs. Et qui ambitionne de transformer son club en lieu d’échanges...
Au milieu de ses écuries, il est droit comme un «i». Il claudique, avec élégance à la manière d’un colonel qui rentre du front. Son sourire et son regard sont ceux d’un séducteur dont on imagine qu’il a dû avoir son heure de gloire. Avec ses élèves, il manie davantage la rigueur que la raideur. Et, à cheval, il est d’une souplesse absolue épousant l’animal comme le gant habille la peau.
Jérôme Bédouet est surtout un rescapé. En 2000, il est à deux doigts de perdre sa jambe gauche broyée par sa jument. Le chirurgien veut abdiquer. Jérôme ne sait pas s’il en récupérera, un jour, l’usage. Il s’obstine et le convainc d’essayer des greffes. Miracle: l’os se reconstitue. «J’ai une jambe nevrectomisée, plus courte que l’autre, je n’ai pas de péroné mais je marche, je cours et surtout je monte à cheval» dit Jérôme qui était membre de l’équipe de France de concours complet, entraîné par Thierry Touzaint, au moment de l’accident.
Pour retrouver le moral, il perd le nord et prend la route du Sud en direction... du Maroc. En fait, il répond à l’invitation de Kebir Ouaddar qui lui propose de se reposer chez lui, à Rabat, aux cotés de sa femme Noëlle et sa fille Soukaina. Jérôme accepte. Ce sera un aller simple. Il se reconstruit à base de bonheurs simples de la vie et des éclats de rire de Kebir qu’il avait connu, en 1997, quand la star marocaine était en stage chez Philippe Rossi au Boulerie-Jump, au Mans.
C’est justement dans la Sarthe, près du Mans où il est né en 1973 que Jérôme Bédouet découvre le cheval à l’âge de 14 ans. «Un club équestre venait d’ouvrir dans la commune d’Allones située à une dizaine de kilomètres de chez moi» se souvient Jérôme. «Comme je suis curieux, je suis allé visiter. Et j’ai été piqué par le virus.» Entre le papa, agent SNCF, et la maman, assistante maternelle, rien ne le prédestinait à entrer en communion avec le monde équin. «Même si mon oncle élevait des trotteurs» précise celui qui travaille dans les écuries comme palefrenier ou assure l’accueil des clients pour suivre des cours en échange de sa bonne volonté manifeste et de son envie évidente.
Jérôme ne se contente pas d’afficher une motivation chevillée au corps. Il a un talent naissant et une précocité étonnante. A 15 ans, il achète son premier cheval. Et, un an plus tard, il honore sa première sélection en équipe de France de concours complet, à Marly-le-Roi, lors des championnats d’Europe juniors. Pas forcément adapté à la scolarité, plus manuel qu’intellectuel, le beau gosse se dirige très vite vers une formation professionnelle en architecture d’intérieur, restauration de meubles et ébénisterie.
Mais c’est surtout l’école Laurent Bousquet, aux Écuries du Laurier à Teloché, toujours dans la Sarthe, qui monopolise son énergie et ses rêves. Au contact de celui qui deviendra entraîneur de l’équipe de France, il va les réaliser. «J’ai eu la chance d’intégrer les écuries de cette grande référence du sport équestre» confie Jérôme Bédouet. Il y fait sa formation, y rencontre sa femme Corine, cavalière elle aussi, avec qui il aura deux beaux enfants Nicolas et Hugo, après avoir fait l’armée au Bataillon de Joinville, à Fontainebleau, puis au Prytanée national militaire, près de chez lui, à La Flèche, où il deviendra l’instructeur équestre de ce lycée militaire.
Il deviendra surtout très rapidement propriétaire d’une écurie, fidèle à la précocité qui est sa signature. Avec Corine, il crée les Écuries du Port-d’Avoise. Il réussit à marcher sur deux jambes, sans mauvais jeu de mots, avec d’un côté le développement économique du club et de l’autre l’ambition d’une carrière sportive en concours complet mais aussi en CSO notamment avec les jeunes chevaux. C’est à cette période qu’il croise, pour la première fois la route d’un certain Ouaddar, au gré des concours. C’est aussi à ce moment qu’il rencontre François Fillon, l’ancien Premier Ministre , voisin de Pont d’Avoise dans son fief électoral de Sablé. Il sympathise avec Pénélope, l’épouse galloise de ce dernier, passionnée de cheval, qu’il aide pour ses élevages.
Avant son terrible accident, Jérôme Bedouet coule des jours heureux sans répondre aux questions existentielles qu’il ne se pose pas encore. «J’étais heureux, épanoui, reconnu» confie-t’il. «Je fréquentais l’équipe de France par intermittence, et ça suffisait à mon bonheur. Dire que je suis tombé de très haut après l’accident quand les sponsors et les clients sont partis est un euphémisme. On peut parler de dégringolade.»
C’est donc au Maroc qu’il se relèvera. Les Marocains n’ont pas leur pareil, avec leur chaleur humaine et leur ancestral sens de l’accueil, pour tendre la main aux gens qui souffrent dans leur chair et dans leur âme. C’est le cas de Jérôme Bédouet. Pas étonnant qu’il voue «une reconnaissance totale à ce peuple unique.» C’est d’abord le Colonel Mozat, ancien responsable des cavaliers de la garde royale, qui lui fait part de l’intérêt à son endroit de l’institution Dar Es Salam où il devient enseignant instructeur pour la Fédération Royale Marocaine de Sports Équestres, de 2006 à 2009.
Le contrat à Dar Es Salam se termine en même temps que son mariage. Frappée par le mal du pays, Corine rentre en France. Jérôme affronte une nouvelle épreuve, seul, loin de ses enfants. C’est Chafiq Benkhraba, le papa de la cavalière internationale marocaine Leina, qui lui ouvre la porte de ses écuries, à Rabat, et la chaleur du domicile familial avec son épouse Mouna. «Je remercie la famille Benkhraba de m’avoir permis de rebondir» confie pudiquement Jérôme qui décide néanmoins de prendre la route de Marrakech où il pose ses valises et ses chevaux au Royal Club Équestre.
Aussi réussie soit-elle, l’expérience n’emballe pas forcément Jérôme qui décide, en 2013, de migrer à l’Ouest de la Ville Rouge, au kilomètre 14 de la route de Fès et d’installer les Écuries Jérôme Bédouet au?Ranch de Marrakech. Il veut un positionnement fort sur le sport équestre et s’imagine comme une pépinière de champions en misant sur sa crédibilité, son expertise d’entraîneur et son passé de champion. «On ne fait pas de la garderie» prévient Jérôme qui donne de sa personne lors des cours qu’il ne délègue presque jamais. «Je n’ai pas envie de promener des gens autour de la carrière juste pour faire rentrer de l’argent. Ça ne m’intéresse pas. L’idée, c’est vraiment de former les gamins et les chevaux aux loisirs ou à la compétition, sachant qu’il y a des passerelles entre les deux.»
Surtout, ce meurtri de la vie rêve de ses écuries comme des lieux d’échange, de vie plus des lieux dédiés à la seule équitation. «Il manque à Marrakech une structure qui permette aux parents d’attendre leurs enfants dans un cadre agréable avec des prestations basiques de petite restauration» dit celui qui peut compter sur Nicolas et Sandrine, un charmant couple suisse, parents de la petite Nell, future championne dont Jérôme s’occupe presque quotidiennement. «C’est un cadeau inespéré» glisse Jérôme. «Bien sûr, ils s’investissent pour leur fille. Mais ça rejaillit sur tout le club. Il vont se consacrer à l’accueil pour recevoir nos clients dans les meilleures conditions et offrir quelque chose de différent. En tout cas, une nouvelle fois, je vis une aventure humaine inattendue et surprenante.»
Jérôme ne compte ni les heures, ni l’énergie dépensée. Il se donne corps et âme pour ce métier, pour cet animal et pour ses clients. «Si ça peut rendre les gamins heureux, ça n’a pas de prix» avoue-t-il, très sincère. «On parle beaucoup du rugby mais l’équitation est aussi une école de la vie avec ses codes, ses valeurs, notamment le respect des autres, des consignes, du cheval, des règles. C’est évidemment formateur. Quand il le faut, je n’hésite pas à être sévère. J’ai raison de le faire pour l’éducation et l’avenir de ces enfants. Un cavalier est avant tout un homme sur un cheval. C’est la vraie vie qu’on vit sur un cheval.»
Sa vie, malgré les hauts et les bas qui escortent ses pas saccadés, il n’aimerait pas la changer. Il est heureux, route de Fès, au milieu d’une écurie de quarante boxes qui ont déjà séduit plus de cinquante adhérents et occupent à temps plein un autre enseignant, deux palefreniers et une secrétaire. Il rêve de retrouver la compétition à l’occasion du Morocco Royal Tour, l’année prochaine, sur son cheval Orry d’Oriol, lui aussi remis de blessure. «Je dois être le moteur et l’exemple pour tous ces jeunes qui ont décidé de se lancer dans cette merveilleuse aventure qu’est le saut d’obstacles» dit Jérôme.
Il sait de quoi il parle. Les obstacles, il connait. Il les a toujours surmontés...