Royal Club Équestre le Carrefour : au croisement du cheval d’hier et de demain
SPORTS ÉQUESTRES 2017-09-01Février 2017 // Par Jérôme Lamy
Homme de cheval attaché dans la tradition culturelle du royaume et ancré dans l’histoire du saut d’obstacles au Maroc, Brahim Aâdnan est aussi un visionnaire hors pair. Son projet de développement du Royal Club Équestre le Carrefour est d’une modernité rare.
Parfois, il ne faut pas chercher très loin pour trouver un nom. Posé sur la route nationale 1 qui relie Casablanca à Rabat, juste après le grand rond point de Mohammedia, le Club ... Le Carrefour porte magnifiquement son nom. Et la jolie sculpture en or d’un cheval qui orne l’entrée ajoute à sa légende.
Brahim Aâdnan, le propriétaire de ce joyau de la filière équine, situé sur la commune de Benslimane, n’en rajoute pas. Il sait que son passé d’homme du cheval parle pour lui. S’il faut situer ses origines familiales, dans la région de Chichaoua, du côté d’Imintanoute, c’est à Casablanca qu’il a grandi, à Tit-Mellil, entre l’aérodrome et le Royal Club Equestre Chellalate.
Il aurait pu être pilote. Il sera cavalier. Car son papa, Abdeslam, a participé à la création du club, en 1957. Homme de devoir, de sacrifice, homme à tout faire au Chellalate, Abdeslam seconde Albert Sossan, le propriétaire, quand il est absent. «Mon père n’est jamais monté à cheval mais c’était un vrai amoureux de l’animal» précise Brahim. «Il a été toute sa vie au service du club même après son départ à la retraite»
Un homme suffisamment passionné, pour s’impliquer encore davantage dans l’aventure après la vente du club à un ferrailleur de Mohammedia, Haj Tahar. Quand ce dernier partage le club en trois parts égales, les adhérents sautent sur l’occasion pour louer plus d’un hectare et relancer l’activité autour d’un mini-club house et de 27 boxes. «C’est là que j’ai appris à monter à cheval à la fin des années soixante» précise Brahim avec une émotion non feinte.
Le manque de moyens financiers de la famille Aâdnan n’est pas un frein à l’apprentissage de Brahim. Stagiaire la journée, il a le droit de monter les chevaux quand le club se vide. Ses dispositions ne passent pas inaperçues et madame Alioui, la monitrice, décide de s’occuper du petit Brahim, le fil du dévoué Abdeslam. «L’histoire est jolie puisque la petite fille de madame Alioui prend aujourd’hui des cours au Royal Club Équestre le Carrefour et j’ai entrainé son fils, Akim, aujourd’hui architecte, qui a été champion du Maroc junior» précise Brahim qui a arrêté l’école au niveau du brevet pour se consacrer à sa passion qui allait devenir un métier.
Forcément, les parents Aâdnan sont opposés à cette décision. Il faut l’intervention de Feu La Princesse Lalla Amina pour acter la fin de la scolarité et le saut dans le grand bain de la filière équine. Brahim passe avec succès son premier degré. «Il vaut mieux être un bon cavalier pédagogue qu’un mauvais élève à l’école» lâche celui qui obtient la note de 57 sur 60.
Rien d’étonnant que la Fédération Royale Marocaine des Sports Équestres (FRMSE) le convoque pour un stage sous les ordres de Jean-Louis Martin, instructeur de L'École supérieure du cheval et de l'équitation, de Saumur. «Une rencontre qui a changé ma vie» confie Brahim Aâdnan.
Il rejoint la FRMSE?avec 30 dirhams en poche. «Mes parents m’ont donné cette somme pour prendre le car et aller à Dar Es Salam» se souvient Brahim. «Je me suis débrouillé tout seul toute ma vie. Je ne leur en veux pas. Ils étaient illettrés et n’avaient pas les moyens. Ils ont toujours fait le maximum pour leurs enfants.» A l’évidence, ils ont bien fait puisqu’on compte un pilote, un ingénieur et un vice-président du Conseil Communal de Casablanca dans la fratrie Aâdnan.
Sa carrière, c’est dans le monde équestre que Brahim la fera. Il devient vite responsable de la sellerie, à Dar Es salm, des écuries puis adjoint de Martin. Il est, ensuite, nommé moniteur de la FRMSE, puis instructeur. Motivé, il prend rapidement la direction de l’Institut Français de Rabat pour apprendre la langue française. «Je faisais monter des élèves totalement francophones, je devais être crédible» avoue-t-il.
C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Kebir Ouaddar qui accompagnait le Prince Moulay Abdellah trois fois par semaine, à Dar Es salam. «Chaque mercredi, samedi et dimanche, Moulay Abdellah arrivait, ponctuel, à 14h» précise Brahim. «A 14h10, il était sur son cheval. Kebir, l’accompagnait toujours. Il était déjà passionné, aux petits soins. Il montait avec moi à l’entraînement et en concours.»
En 1985, Brahim Aâdnan force les portes de l’équipe nationale du Maroc après sa première médaille, au championnat du Royaume, lors du concours complet, sur son cheval Farouk, un merveilleux arabe-barbe. Il franchit même 2m25 lors d’un concours de puissance. Bref, il fait l’unanimité. «J’étais tellement impliqué que je n’ai jamais été absent un seul jour» précise Brahim. «J’ai travaillé des chevaux jeunes, des chevaux expérimentés, je me suis dévoué pour la fédération. J’étais là pour gagner, pour travailler, former des cavaliers et créer une pépinière»
Son engagement et son talent dépassent les frontières de Dar Es salam. Le Prince Moulay Hicham lui propose une collaboration. Il accepte ce nouveau défi. Dès 1988, il est responsable des pur-sang arabes, à Aïn Aouda et des chevaux de sauts d’obstacles, à Souissi. «Cette expérience m’a beaucoup enseigné» glisse Brahim. «J’ai encore davantage mesuré l’importance qu’il faut donner à chaque détail dans l’évolution d’un cheval.»
C’est avec beaucoup d’ambition que Brahim Aâdnan retrouve Dar Es Salam et la FRMSE, en 1989, d’autant qu’on lui donne le costume de directeur technique national, une première au Maroc pour un homme âgé de 25 ans. Il s’occupe désormais de 120 chevaux - ils étaient 45 lors de ses premiers pas à Dar Es Salam - et fait montre d’un véritable talent pour mener ses élèves vers l’excellence. Surtout, il récolte une moisson de médailles dans toutes les disciplines. «Mon papa Abdeslam m’a toujours dit de faire les choses au maximum ou de ne rien faire» confie Brahim. «Cet état d’esprit, je l’ai retrouvé chez Jean-Louis Martin. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai été si proche de lui.»
Il coupe le cordon, en 1991 et décide de voler de ses propres ailes. Son cheval Foulki devient une référence. Il le prête, en 1991, à Lamia Laraqui et à Ghali Boukaa qui multiplient les victoires. Surtout, il fait son retour à Tit-Mellil, au Royal Club Equestre Chellalate où les adhérents sont heureux de l’accueillir. Brahim leur demande un salaire mensuel de 1500 dhs. «Ils m’ont répondu que leur recette mensuelle globale était inférieure à cette somme» rigole Brahim qui propose aussi tôt de prendre la gestion du club et de ne vivre qu’avec un pourcentage du chiffre d’affaires. A l’immense majorité des membres du bureau, les adhérents lui confient les clefs du club. Ils ne le regretteront pas. «C’était mon métier, pas le leur» confirme-t-il.
Brahim décharge 350 camions d’ordures. Il s’en va frapper à la porte du wali, du gouverneur, du député. Il se multiplie pour trouver des sponsors. Il revient avec dix millions de dirhams pour rénover et agrandir le club. «Mon expérience du labeur à la ferme avec mon père m’a beaucoup aidé pour ce chantier» confie Brahim très fier d’avoir bâti des dizaines de boxes et mené vers l’excellence 32 cavaliers du Royal Club Equestre Chellalate.
Au total, il aura gagné 17 titres de champion du Maroc avec 3 clubs différents. Il aura été sacré sept fois champion du Royaume de clubs. En 2013, par exemple, il a gagné cinq Grand Prix de suite: GP de Chellalate, GP de la Garde Royale, GP de Temara, GP de Tetouan et Casablanca. «Mon regret est que le championnat du Maroc séniors ne figure pas à mon palmarès» confie-t-il. «Mais je n’ai pas dit mon dernier mot.»
Autant de succès donnent à Brahim Aâdnan des idées d’indépendance. Il en a assez de rouler pour les autres et d’être tributaire des vents parfois contraires. Il trouve un terrain sur la route nationale de Benslimane, juste après le rond point de Mohammedia.
Il n’hésite pas et y jette son dévolu. En 1997, il investit ses économies pour monter une clôture autour des 9 hectares ainsi qu’un hangar, une modeste carrière et une dizaine de boxes. Les premiers chevaux arrivent au club. «Nos petites installations ne nous ont pas empêché de remporter le championnat du Maroc des clubs» constate Brahim, trois ans plus tard.
Brahim est un homme de cheval et un homme d’affaires et les deux font bon ménage pour le bonheur du club. Vingt ans après, 34 salariés, dont l’énergique directrice Laurence Lemire, la dernière arrivée, font le bonheur de 460 adhérents issus de 115 familles différentes. Ces heureux cavaliers disposent de conditions d’entraînement tout à fait exceptionnelles avec 160 chevaux, des carrières de niveau international irriguées en profondeur, une forêt de quatorze hectares propice aux balades, des écoles de poney, de dressage et de saut d’obstacles.
Passé la mythique statue à l’entrée, un parking spacieux assure le stationnement alors qu’un joli club-house permet de se restaurer en admirant les trophées et les photos jaunies par le temps de Brahim Aâdnan entouré de personnalités...
En tout cas, le temps n’est pas figé au Royal Club Équestre Le Carrefour. C’est même déjà demain! Un projet d’une envergure unique est dans les tuyaux avec la création sur le terrain du club d’une carrière vip, de bungalows, d’une salle de fitness, d’une piscine et de courts de tennis. .
Le Royal Club Équestre Le Carrefour accueille déjà une écurie de dressage avec des grands écuyers français, allemands, norvégiens ou hollandais. Mais Brahim Aâdnan voit plus loin... «Nous pourrons accueillir et loger des cavaliers européens venus en stage chez nous» précise-t-il. «Ils pourront finir leur journée au spa et les participants aux séminaires, que nous ne manquerons pas d’organiser à l’hôtel, pourront se divertir avec l’activité cheval.»
On l’aura compris, Brahim ne va pas chômer. D’autant qu’il n’a pas fait une croix sur une carrière internationale. «J’ai toujours de l’ambition» assure-t-il. «Je n’ai rien abandonné. J’ai repris l’entraînement, le pilates et le gainage...» A 53 ans , il en paraît dix de moins. «C’est le climat de Benslimane qui est exceptionnel» plaisante-t-il.
Non content de posséder une prometteuse jument de 8 ans, Chandelier, Brahim s’est mis sur les traces d’un grand cheval de sept ans indispensable pour le haut niveau. «Je souhaite reprendre la compétition à un niveau international car je pense que c’est possible» confirme-t-il. «Je n’ai plus le stress de mes débuts et j’ai acquis de l’expérience .»
Brahim veut oublier les années difficiles. Il ne veut plus se retourner sur un passé dépassé, sur la peste équine qui a freiné sa carrière. Il regarde devant. Et croit en plusieurs jeunes cavaliers de cette génération, à qui il faut donner une chance. «Il faut dénicher d’autres grands cavaliers pour accompagner Ouaddar qui est notre locomotive» dit Brahim. «Nos cavaliers manquent de techniques approfondies et il faut dépasser ce handicap, s’élever à un meilleur niveau d’équitation. Il faut leur transmettre le goût de découvrir la morphologie du cheval et sa psychologie. Un cavalier doit savoir soigner un cheval. .»
Dire que Brahim Aâdnan loue le travail du Prince Moulay Abdellah à la tête de la FRMSE est un euphémisme. «D’abord, je dois préciser que Feu la Princesse lalla Amina avait fait un travail considérable, et qu’elle était aimée par tous les cavaliers» dit-il. «Ensuite, il faut convenir que Moulay Abdellah a réussi à faire en un an ce qui n’avait pas été fait en trente ans. Au niveau de l’organisation, du matériel, des installations, on n’a plus rien à envier à personne. Le Maroc peut organiser une épreuve cinq étoiles dès demain sans avoir à rougir. En fait, Moulay Abdellah est un grand homme de cheval. Il aime les chevaux et il aime gagner. En cadets ou en juniors, il allait toujours chercher les podiums même avec des chevaux très moyens. En tout cas, ça me donne encore plus envie de passer des heures à l’entraînement pour défendre les couleurs du Maroc.»
Il ménagera néanmoins du temps pour sa famille, les siens dont il est si proche. Cette maman Fatima, âgée de 82 ans, qui a repris les études depuis quatorze ans. «Elle a du mal à marcher mais elle va à l’école» dit Aâdnan, admiratif. «Elle connait le coran par cœur. C’est la meilleure élève de la région de Casablanca. Elle s’est toujours débrouillée toute seule. Elle n’a jamais eu d’aide.» Cette fille, Radia, ancienne vice-championne du Maroc, cadettes, qui suit des études de cinéma à Londres. Enfin, ce fils, Adil, qui a récolté plein de médailles à poney, qui passe allègrement des barres à 1m45 mais qui «aura la liberté de choisir un métier qui le fait vibrer.»
Loin du cœur ou près des chevaux, «un métier d’affection plus que de business et d’argent». Parole de Brahim Aâdnan...